‘ Les Origines du sida ‘, sur France 2, un documentaire à partir d’une thèse très controversée qui manque de rigueur scientifique
Paul Benkimoun, Le Monde, 17 avril 2004
© 2004 Le Monde
Se penchant sur une question qui a taraudé non seulement les scientifiques mais aussi l’opinion publique, l’origine du sida, le documentaire que France 2 diffuse dans le cadre du Sidaction a des allures de thriller. Ses auteurs recourent même à une musique récurrente rappelant celles des séries de science-fiction américaines d’autrefois, au point que l’on se demande si quelque envahisseur venu d’une autre planète ne va pas apparaître au détour d’un plan.
En revanche, le film de Peter Chappell et Catherine Peix, Les Origines du sida, souffre de défauts et de lacunes intolérables pour un document qui se veut sérieux. Totalement unilatéral, il épouse l’hypothèse défendue par un journaliste américain, Edward Hooper, qui s’est voué à un combat: démontrer que la pandémie de sida a pour origine la contamination d’un vaccin expérimental contre la poliomyélite, injecté à un million de personnes, à la fin des années 1950, dans le nord de l’ex-Congo belge (Zaïre). Edward Hooper avait mené une longue enquête qu’il avait présentée en 2000 dans un livre, The River.
Cette théorie allait à l’encontre des travaux scientifiques qui font remonter aux années 1930, en Afrique centrale, l’apparition du virus de l ‘immunodéficience humaine (VIH). Celui-ci serait passé du chimpanzé à l’homme à l’occasion de la blessure d’un chasseur de singes qui aurait ainsi contracté le virus de l’immunodéficience du chimpanzé, dont il est établi qu’il est l’ancêtre du virus humain. Contrairement à ce qu’affirme le commentaire du film, cette datation n’est pas remise en question.
En comparant leurs séquences génétiques, les recherches ont montré qu’il avait fallu entre vingt et quarante ans pour passer du virus du chimpanzé au premier VIH. Si le virus du chimpanzé avait effectivement été transmis à l’homme à la fin des années 1950, comment expliquer que l’on ait retrouvé du VIH dans un sérum humain prélevé en 1959 au Congo belge? Sur ce point, le manque de rigueur scientifique du documentaire est criant.
Les auteurs se sont, certes, donné la peine d’aller sur les pas de Hooper au Zaïre pour retrouver des témoins de l’activité du laboratoire monté à Stanleyville (devenue Kisangani) par le professeur Hilary Koprowski. Le ‘ lieu du crime ‘, selon Edward Hooper, qui considère que Hilary Koprowski ‘ porte l ‘entière responsabilité de l’enchaînement de circonstances ‘ qui ont conduit à la pandémie de sida. Les contradictions des protagonistes, pointées par les auteurs du documentaire, leur semblent suffisantes pour défendre, de manière irréfutable, la thèse de Hooper. Et pourtant, comment ne pas s’étonner de l ‘absence, dans ce film, des scientifiques les plus réputés dans le domaine du sida, à l’exception de Simon Wain-Hobson? Comment ne pas s’indigner de contresens grossiers, et d’affirmations telles que sans les réponses à la question de l’origine du sida ‘ nous n’aurons ni traitements, ni vaccin ‘?
‘ Dans l’histoire du sida, nous avons vu à quel point il y avait eu des controverses, des critiques impitoyables pour des concepts avancés, pour revenir une nouvelle fois sur une théorie que la communauté scientifique a été unanime à condamner ‘, s’étonne le professeur Michel Kazatchkine, président de l’Agence nationale de recherche sur le sida, que nous avons interrogé. France 2 avait sans doute d’autres façons de contribuer à la lutte contre le sida, contre les ignorances et les insuffisances de la prévention, que de diffuser ce documentaire.