Rétrospective d’un virus.; Docu. Enquête partiale sur les sources supposées du VIH
Annick Peigne-Giuly, Eric Favereau; Libération, 23 avril 2004
© 2004 Libération
C’était une belle question, et au passage la possibilité de retracer des épisodes inédits, sans chercher fatalement un coupable. Mais voilà, pour les besoins d’un spectacle, France 2 présente ce soir un documentaire sur “les origines du sida”, se révélant au final un mauvais thriller, lourdement orienté et bizarrement tronqué.
Reprenons. Le sida, c’est quand ? A quel moment est apparu ce virus ? Comment a-t-il pu passer du singe à l’homme ? Et pourquoi à ce moment-là ? Questions passionnantes sur les conditions d’apparition d’une nouvelle maladie. Dans le cas du VIH, tout y est passé : depuis le début des années 80, on a sorti toutes les hypothèses. De la théorie du complot d’un virus échappé d’un laboratoire de la CIA à celle de médecins fous, en passant par celle du hasard. L’épidémie ayant été décelée au printemps 1981 aux Etats-Unis, l’isolement du virus en 1983 a permis ensuite des études rétrospectives : très vite, par le biais d ‘échantillons de sang conservés, on a pu remonter le temps. Et dater le plus vieux malade connu, de l’année 1959 : il s’agit d’un homme habitant dans l ‘ex-Congo belge. Ensuite ? Les progrès de la biologie moléculaire ont permis de dessiner une route de contamination par le biais d’un virus du singe (le VIS) qui serait passé à l’homme, devenant le VIH. L’hypothèse la plus communément admise étant que des chasseurs ont pu être blessés par des singes : d’où l ‘infection.
D’autres pistes ont été suggérées. En particulier, celle mise en avant dans ce documentaire : ce serait lors des campagnes massives de vaccination contre la polio en Afrique subsaharienne, à la fin des années 50, que l’homme aurait été infecté. Pour l’accréditer, on évoque la production dudit vaccin à partir de reins de chimpanzés. On note, non sans justesse, les conditions parfois peu stériles de cette vaccination de masse. En 2000, la Royal Society à Londres donne un coup d’arrêt à cette théorie – violemment contestée dans le milieu scientifique -, en rendant publique une contre-expertise dont les observations scientifiques vont dans le sens du rejet catégorique de cette piste. De plus, des équipes américaines ont démontré, d’après des données de séquençage génétique, que la première introduction du VIH dans la population humaine remonterait aux alentours de 1930, c’est-à-dire bien avant les essais vaccinaux des années 50. Enfin, encore cette semaine, dans la revue Nature, des chercheurs américains affirment avoir démontré “que le virus des singes de cette région ne peut être à l’origine de la pandémie actuelle”.
Il n’empêche, l’hypothèse a continué à fleurir. Dans ce documentaire, parfois passionnant, des scènes inédites sont montrées sur ces vaccinations de masse : ainsi, au Congo où plus d’un million de personnes ont été immunisées en moins de trois ans. Mais aussi des révélations sur la fabrication du vaccin. “Soyons sérieux, ce vaccin était donné par voie orale, le risque de passage d’un rétrovirus est quasi nul”, tranche la professeure Françoise Brun-Vezinet, virologue à l’hôpital Bichat, et experte mondialement reconnue. “Ce qui ne veut pas dire pour autant que ces campagnes de vaccination massive n’aient pas provoqué des chocs sanitaires.”
A vouloir à tout prix ne retenir que cette hypothèse, ce documentaire endosse la thèse boiteuse du complot. Un gâchis. Mais un gâchis volontaire car la direction des documentaires de France 2 a manifestement tordu l’enquête dans ce sens. De nombreuses interviews d’experts sont ainsi passées à la trappe pour ne pas “perturber”, dit-on, le téléspectateur. Drôle de leçon de transparence, en ce jour de Sidaction (lire ci-dessous).
FRANCE 2, 22 h 50. “Les Origines du sida”, documentaire de Catherine Peix et Peter Chappell.